Voyage au Venezuela
La première impression en arrivant c’est le bordel ambiant, tout est là, mais c’est comme si tout marchait de travers, de guingois, tout en biais… c’est le bordel.
Il y a dans ce pays quelque chose du déclin, bizarrement, une impression proche de celle ressentie en Ukraine par exemple, alors que le Venezuela depuis l’accession au pouvoir de Chavez etait censé renaître d’un passé difficile, marqué par l’instabilité politique et des régimes militaires autoritaires.
Un voyage au Venezuela c’est un gros mélange complètement hétéroclite de clichés, de faux semblant, de réalités et de contradictions qui rendent la compréhension de ce pays réellement compliquée.
C’EST LE BORDEL CHEZ CHAVEZ
VIVA EL BOLIVARISMO
Un voyage au Venezuela ne peut se réaliser sans prendre en compte le contexte politique du pays.
Dans sa volonté de nationalisation à outrance, Chavez a ouvert des magasins alimentaires nationalisés, des produits subventionnés vendus moins cher que dans les commerces traditionnels. Mais on constate dans le pays une pénurie régulière des produits de première nécessité, d’où contrebande, envolée des prix au marché noir et lorsque les produits arrivent on surconsomme pour faire des réserves… C’est le bordel.
Ici le salaire minimum est fixé à 1700 bolivares, à priori insuffisant pour vivre décemment. Il n’y a plus de ciment disponible dans le pays, ni de ferrailles, alors les chantiers de constructions s’arrêtent en plein milieu, il est aussi commun de voir des projets démarrer et puis s’arrêter avant la fin pour des blocages d’ordre politiques entre Chavistes et Non Chavistes… C’est le bordel.
Autre étonnement : malgré un anti-américanisme affiché par Chavez, la société vénézuelienne est largement tournée vers le mode de vie américain : gros 4×4, le sport national c’est le Baseball et les gros Mall commerciaux sont la sortie numéro 1 des vénézueliens le dimanche… C’est le bordel.
La question du pétrole
Au Venezuela l’essence est quasiment gratuite 0,01c d’euro le litre… la population peut rouler gratos dans de superbes vieux tacots que l’on voit fleurir à tous les coins de rue. Le business des voitures d’occasion marche à l’envers, puisque si j’ai bien compris plus une voiture sera vieille plus elle sera chère à la revente. C’est le bordel.
Le plus étrange d’après ce que j’ai compris, c’est que la production de pétrole ne rapporte rien au pays. Que l’essence soit gratuite pour la population, pourquoi pas. Mais il semblerait que Chavez vende du pétrole à perte à l’étranger… pourquoi ? Vu de ma petite lorgnette, peut-être simplement pour montrer au monde qu’il peut le faire et qu’il n’est dépendant de personne et surtout pas des Etats-unis. Mais il a également aussi mis en place un troc pas idiot à l’échelle internationale : le programme pétrole contre médecin avec Cuba.
Une monnaie au double taux
Dans la liste on peut ajouter que pour éviter la fuite des capitaux à l’étranger le taux de change est fixé par l’état et les vénézueliens sont rationnés sur la monnaie étrangère. Ils n’ont droit qu’à une certaine somme par an, on imagine assez mal ce que cela signifie pour la population, mais concrètement ça fait qu’il est assez compliqué de voyager où l’on veut et comme on veut par exemple.
Du coup vous découvrirez lors de votre voyage au Venezuela que le bolivar, la monnaie du pays, a deux taux de change différents : officiel et parallèle. Les venezueliens bradent leur bolivar pour récupérer un peu de devises étrangères et les mettre sous le matelas. Toujours mieux que rien. Quand on arrive donc avec nos euros, les gens nous demandent de leur revendre au marché noir plutôt que de passer par un bureau de change officiel.
Folkore des transports
Pour le côté folklorique on peut dire qu’ici la conduite se fait au klaxon, il n’y pas de règles. Comme ailleurs en Amérique du sud une 2 voies peut se transformer en 4 voies si les conducteurs le décident, aucune signalisation n’est respectée, cela dit la conduite reste souple et pas forcement très dangereuse.
De part cette circulation de voiture klaxonnant constamment, les villes ont un niveau sonore ambiant inimaginable et Caracas est au top du classement. Cette intensité sonore se retrouve partout notamment dans les restaurants où il est conseillé de crier plus fort que son voisin pour se faire entendre.
J’en ai parlé dans un article consacré aux aéroports , nous avons connu tout au long de la tournée les joies du retard, de 2h à 6h en moyenne, auquel on peut rajouter l’attente dans les restos de l’ordre de l’inhumain. Mais on s’y fait comme pour tout. « C’est le Venezuela » est surement la phrase que l´on aura le plus entendu ici !
Voilà, c’est le bordel et tout cela est très compliqué à démêler.
BOLIVARISME
Une impression clairement mitigée
Lors d’un voyage au Venezuela, impossible d’échapper à la figure de Hugo Chavez. Il y a ici des relents de soviétisme à l’état pure, la propagande y est surréaliste, la tronche à Chavez sous toute les coutures, partout sur les murs en ville, à la campagne, et partout les slogans à la gloire du parti et de la révolution bolivarienne. Chavez rêve de réunir à nouveau les pays libérés au 19e siècle par Simon Bolivar de l’emprise espagnole : Bolivie, Pérou, Colombie, Venezuela…
En attendant, on peut dire que Chavez mène une politique populiste à souhait usant de tous les subterfuges du bon vieux communisme d’antan.
Cependant il serait trop facile de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’arrivée de Chavez a transformé la vie politique du pays : le recours au référendum fréquent, la ré-appropriation de l’exploitation des matières premières, un vent général de nationalisation, des budgets débloqués pour tout une série de mesures sociales destinées aux plus démunis, qui a permis aux populations les plus pauvres de voir leur niveau de vie augmenter, d’avoir accès aux soins de santé et à l’éducation. Sous Chavez la mal nutrition, l’illéttrisme, l’accès à l’eau potable par exemple ont drastiquement évolué vers le mieux.
Mais il n’est pas arrivé à sortir le pays de la corruption, de la violence et de la disparition des richesses, dans un des pays pourtant les mieux doté en matières premières et notamment en pétrole.
VISION PARTISANE
L’entre soi créé les tensions sociales. De l’extérieur, le régime de Chavez fait froid dans le dos, la propagande à elle seule suffit à rejeter tout en bloc. Vu du côté des AntiChavistes les arguments sont là pour étayer le pourquoi de leur rejet.
Mais nous n’avons pu rencontrer aucun pro-Chaviste pour avoir un autre son de cloche, tout le réseau des Alliances françaises est constitué d’un corps enseignant ou d’élèves a 99% anti-Chaviste… avec un niveau de vie et d’éducation pour la plupart élevé… seuls les directeurs des Alliances ont des discours peut être plus justes et nuancés et ça commence à être intéressant. Mais nous aurions aimé jouer dans des quartier « Chavistes » afin de ressentir cette atmosphère et parler à une autre frange de la population.
C’est pourquoi ce bilan de mon voyage au Venezuela n’est qu’une vision parcellaire des choses.
L’INSÉCURITÉ AU VENEZUELA
UNE RÉALITÉ, À DÉPASSER
C’est certainement la première question que l’on nous pose lorsqu’on annonce que l’on part en voyage au Venezuela. L’insécurité dans le pays a augmenté et il y a une parano ambiante assez incroyable.
Toutes les maisons sont grillagées, avec des fils électriques en haut des murets, les terrasses des cafés ferment une à une ou finissent par se barricader derrière barrières et double sas de sécurité… Les recommandations étaient claires : ne pas sortir seul le jour, ne pas sortir du tout la nuit, fermer les portes à clefs dans la voiture, ne pas ouvrir les fenêtres quand on roule au ralenti, ne pas parler aux flics en espagnol etc, etc… Ici on ne s’arrête pas au feu rouge, on ralenti et on préfère passer que de prendre le risque de s’arrêter et de se faire carjacker.
A l’arrivée ça donne juste l’impression que le mieux serait de rester dans l’hôtel, se faire chauffer aux aéroports et jusqu’aux concerts et basta. Le moins de contact avec l’extérieur, le mieux.
Et les anecdotes fleurissent fleurissent pour vous faire comprendre que c’est pas de la rigolade. Et en effet, le pire c’est que nous ne pouvions douter de ces témoignages nous parlant de proches à eux, ou d’eux même, victimes de carjacking pour la plupart, avec fin heureuse ou dramatique selon…
Heureusement ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça, mais quand même, ça crée une ambiance particulière.
On aura quand même pu se balader et boire un café en terrasse plaza bolivar à Caracas. On aura réussi à boire un coup, faire un tour au marché à Merida et batailler pour rentrer seuls à pied de la salle à l’hôtel le soir du concert. On aura réussi à partir seuls sur les îles à Puerto la cruz, mais c’est à peu près tout ce que nous avons pu gratter comme espaces de liberté dans le peu de temps qui nous était imparti.
QUAND LE VENEZUELA NOUS ACCUEILLE
UN VOYAGE AU VENEZUELA AU DELÀ DES CLICHÉS
De ce voyage au Venezuela je retiendrai toutes ces discussions qui m’amène aujourd’hui à réfléchir à ce pays et à n’y poser que des doutes, des questions et surtout pas de réponses pré-formatées : Sylvain de l’agence de voyage d’aventure FranBrasil à Merida, la superbe Yara qui nous a babysitté à Caracas, Marie-Rose la directrice de l’AF à Merida, nos chauffeurs, René le technicien de Barquisimeto, Jérémy et Pablo à Puerto la cruz…
Autant de rencontres, autant de visions d’un pays, mais avec cette constance d’une envie de partager, de parler de ce pays, en bien, en mal, de remuer la tambouille, de ne pas la laisser refroidir. Et puis le bordel, le bruit, le chantier, toutes ces choses qui ne fonctionnent pas dans le pays, cette ambiance de décadence à la Enki Bilal rend le Venezuela est vivant quoi qu’on en dise et finalement tout ce bordel ambiant, tous ces avis tranchés, ces opinions affirmés, et bien au final je trouve ça beau.
Le Venezuela est un beau pays, un pays à découvrir sans préjugés, les yeux grands ouverts.
Il y a beaucoup d’articles tentant d’analyser la situation au Venezuela, je peux recommander mes récentes lectures, non exhaustives :
- http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=187
- https://blogs.mediapart.fr/jean-malet/blog/070313/venezuela-chavez
- http://larotative.info/pour-comprendre-ce-qui-se-passe-au.html
PS : Ce texte a été écrit lors de mon voyage au Venezuela en 2012, avant la mort de Chavez. La situation ne semble pas avoir radicalement changé depuis l’arrivée Maduro. On peut même dire qu’elle ne s’améliore pas du tout. On voit un désir de changement évident, notamment du côté des jeunes. Mais si le chavisme a peut-être fait son temps, revoir les oligarques conservateurs au pouvoir n’est pas à espérer. Espérons que le Venezuela se réinvente une nouvelle fois pour son futur.
Adissiàs, salut!
2 mois et demi au Vénézuela à cheval sur 2012 et 2013 ne nous ont pas laissé cette même impression, à ma compagne et moi-même. C’est vrai que les quelques citadins ayant un confort certain sont franchement anti-chavistes, par contre, la multitude des gens que nous avons côtoyé, qui nous ont hébergé parfois, était chaviste même critique, d’ailleurs. Nous ne sommes pas allés à Caracas, la seule grande ville fréquentée fut Mérida. Mais jamais nous ne nous sommes sentis en insécurité. pas plus en tout cas qu’à Marseille (je suis du sud) ou bien dans certains quartiers d’autres villes françaises (Lille etc). L’accueil généreux, la joie de vivre (on préfère ne pas être riches mais rigoler ensemble nous a-t-on dit plus d’une fois) nous ont été chers au coeur.
En tout cas merci de tes ressentis et bon viatge, bon voyage dans la vie! Quant à nous nous repartons sur les chemins…de Colombie, cette fois!
Adishatz ! (comme on l’écris par chez moi)
Ravis d’entendre ton témoignage Patric. Je me doute bien que dans les campagnes et chez les populations moins favorisées la vision du chavisme est toute différente, c’était bien là toutes les réserves que j’ai voulu mettre sur mon expérience personnelle. Aujourd’hui le Venezuela entre encore dans une nouvelle phase de sa vie, on verra comment il survit à ces changements. Bonne route en Colombie, mon pays de coeur !