Réflexion sur la photo de rue

Je monte avec Mlle.A les ruelles d’Istanbul vers la mosquée de Soliman. Mon fidèle appareil photo autour du poignet, j’ai les yeux grands ouverts sur mon environnement, les gens que je croise qui descendent vers le Bosphore ou peut-être le marché Egyptien, les maisons qui m’entourent à la recherche de détails qui attireront mon œil. Je découvre au coin d’une rue le fameux Süleymaniye Hamamı dont parle tant de monde, puis je me retrouve au pied de la mosquée, dans une rue bordant les remparts. Dans cette rue quelques échoppes. Et puis mon œil s’arrête. Je bloque devant ce que j’aime appeler une nature morte urbaine : ces bouts de vie que l’on a jeté là, attendant le sort que leur réservera le temps, le soleil, la pluie, avant une possible destruction finale.

Un meuble, une chaise, du bordel contre un mur, un bout de gouttière, des mauvaises herbes…

Je brandi mon appareil photo, cadre le sujet, laissant faire les lignes hasardeuses que me propose cette sculpture de l’éphémère. Clique.

Et là tout bascule.

« Hey toi ! Pourquoi tu fais ça ? »

Je me retourne et fait face à deux monsieurs assis sur leur chaise, devant une échoppe. Certainement le propriétaire et un ami. Je souris et m’approche pour leur demander de quoi il s’agit.

« Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu photographies ça ? ». Il y a clairement de l’agressivité chez ce monsieur lorsqu’il me parle. Je suis un peu décontenancé. Je balbutie une explication : « Parce que j’aime photographier ce genre de choses ».

« Ah tu aimes ça ? Tu aimes photographier la merde ? C’est ça que tu veux montrer de la Turquie c’est ça ? Tu vas montrer tes photos et dire voilà c’est ça la Turquie !! »

Je me retrouve à essayer de me justifier : « non ce n’est pas l’idée, j’aime photographier ces choses là dans les villes… ». Mais le monsieur ne veut pas m’entendre, il me coupe et répète ses accusations et rajoute : « Pourquoi tu ne prends pas les choses belles hein ? Il y a des belles choses partout, pourquoi tu photographies de la merde ? Et puis ces objets là, ils sont à moi, tu dois me demander la permission pour les photographier. Je ne veux pas qu’on photographie mes affaires. »

Je tente un « Je suis désolé, si vous voulez bien m’écouter je peux vous…».

« Non, je ne veux pas t’écouter. Au revoir. » Son ami à côté a le sourire en coin et je le vois acquiescer de la tête.

La photo de la discorde

Réflexion sur la photo de rue

Je n’arrive pas à avoir les idées claires. Comme souvent lorsqu’on m’agresse verbalement, je suis bloqué, vide, pétrifié. Je passe mon chemin, abasourdi.

Il va me falloir du temps pour me remettre de cet épisode qui va tourner et tourner dans ma tête. Je suis entre deux sentiments contradictoires : la culpabilité et la révolte.

Je me repasse le film et tout ce que j’aurais pu dire à ce monsieur de l’intérêt pour moi de ces rejets de vie qui racontent plein de choses à mon sens. En quoi cela fait partie pour moi du charme d’une ville, d’un quartier, d’une rue. Que cela ne m’empêche pas de photographier les magnifiques mosaïque de la mosquée Soliman par ailleurs. Que c’est tout un tas de poussières collées les unes aux autres qui font l’identité d’une ville, ses habitants, ses maisons, ses rues, ses monuments, mais aussi ses odeurs, sa lumière, ses musiques, ses voix et ses traces de vies lasses : objets abandonnés, affiches collées, déchirées, graffitis, congloméras de matières picturales qui viennent ajouter à l’âme d’une ville. Et que j’aime ces grands écarts, c’est ma façon de voir le voyage.

Et puis je me sens coupable. En y regardant de plus près, la photo montre sa face cachée : le savon posé sur la planche, le bidon dans le meuble, le trottoir humide, tout cela laisse à penser qu’il s’agit en fait d’une sorte de point d’eau pour se laver les mains. Je me dis que ce monsieur a peut être raison d’être en colère. Je n’avais peut-être pas à photographier ces objets lui appartenant. J’aurais surement dû lui demander la permission. Je me sens comme un voleur. Je questionne ma démarche. Peut-être est-elle impudique ? Peut-être est-ce impudique de venir comme ça, avec ses gros sabots de touriste, s’intéresser aux à côtés d’une ville, d’une vie, sans demander son reste. Si j’ai choqué ce monsieur c’est que quelque part ma démarche n’est pas juste, n’est pas honnête ?

J’échangeais avec Laurent du Blog One Chaï dont j’ai pu admirer quelques magnifiques portraits, plein face, les yeux dans les yeux. Des portraits « demandés » donc. Et je lui disais que je n’avais jamais réussi à faire cela. Je n’arrive pas à aller vers l’autre pour lui demander si je peux le prendre en photo. J’ai évidemment peur du refus, qu’il m’arrive finalement la même chose qu’il m’est arrivé à Istanbul. Et c’est un regret dans ma photographie.

Cela m’aurait peut-être aidé à éviter le quiproquo avec ce monsieur à Istanbul, même si au final ce n’est pas lui que je voulais prendre en photo. J’espère donc un jour y arriver. J’espère avoir un jour le déclic. 😉

Quel comportement adopter ?

Réflexion sur la photo de rue

M’engager dans une réflexion sur la photo de rue, c’est avouer que je me cherche dans ma photographie. Je suis un adepte de cette pratique, de la recherche d’un instant, de quelque chose qui se passe, du détail qui se cache.

Je fais des photos à la volée. Mais attention je ne pense pas ici qu’il s’agisse de « photos volées ». Je ne me sens pas voleur quand je suis dans la rue à prendre des photos. Je ne me cache pas, preuve en est mon expérience malheureuse.

Si j’aime prendre des scènes de vie, en revanche, je ne demande que très rarement la permission de prendre une photo. Si cela concerne une personne en particulier, cela se passe simplement par un regard, un sourire, un accord tacite. Je prend mes photos dans un mouvement et aussi étrange que cela puisse paraître, avec toujours la volonté de « ne pas déranger ». Donc si je ne sens pas la chose possible, je passe mon chemin, je fais tout au feeling, le mien et celui que je ressens en face de moi.

Je n’ai pas de zoom puissant, mon idée n’est pas de faire le paparazzi, j’utilise le plus souvent un 20mm, je me déplace et je shoot ce qui m’entoure sans me cacher, mais en essayant de me fondre, de me faire oublier.

Que disent les grands ?

Réflexion sur la photo de rue

Je me cherche dans ma photographie et cette réflexion sur la photo de rue en est le témoin. Cette façon de prendre des photos n’est pas anodine. Est-elle juste ? Certains diront que non. Que toute photo doit être consentie. Pour ma part je me soulage l’âme grâce à Cartier-Bresson et cela m’aide à relativiser. Cartier-Bresson était sans scrupules à ce sujet : « Je bondis, je me hausse sur la pointe des pied, je m’approche des gens à pas de loup ou bien je me mets en retrait. Tantôt les gens ne se rendent compte de rien, tantôt ils savent que vous êtes là et vous devez attendre et regarder ailleurs en espérant qu’ils reviendront dans leur élément. C’est comme si vous jetiez un pierre dans l’eau. Parfois, il faut attendre que les vagues aient disparu avant que les poissons reviennent. Mais, très souvent, la seule possibilité, c’est la première fois. »

Bon, Cartier-Bresson dit également que pour lui le recadrage est impossible, qu’une photo est bonne ou mauvaise et qu’une fois le déclenchement effectué tout est là. Pour ma part je suis un grand adepte de la retouche et du recadrage donc pour les puristes, j’ai encore du boulot…

J’entendais encore très récemment Raymond Depardon dire exactement la même chose. Lui le photographe/documentariste, qui sait passer du temps avec ses sujets et entrer dans une relation forte avec eux, est revenu à la photo de rue récemment pour un projet sur Cartagena en Colombie. Il ne disait rien d’autre que ce qu’évoquait Cartier-Bresson : « Se faire oublier, aller vite, sourire et ne pas insister, dégager vite fait ».

La photo, un art du singulier

Réflexion sur la photo de rue

Je conçoit totalement la photographie comme une pratique artistique. Une de celle (avec la musique et la danse) qui m’intéresse le plus d’ailleurs. Je me dis finalement que cette réflexion sur la photo de rue me donne à penser que la photo est, comme toute pratique artistique, ce que l’auteur voudra bien en faire. Il y a un outil, un instrument, une technique. Il y a des cadres, des moments, des lieux. Mais c’est ensuite l’artiste qui fait ses choix, qui donne une direction à son travail et qui oriente sa pratique de la manière la plus personnelle qui soit.

A partir de ce constat, il n’y a donc pas de « meilleure » façon de faire de la photo, encore moins de la photo de rue. Il y a autant de façon qu’il y a de photographes. Mais il y a une vrai spécificité à ce travail, une claire nécessité : être en phase avec son environnement et respecter les gens que l’on photographie.

Pour aller plus loin

Je recommande pour ceux qui s’intéressent au droit à l’image en photo de rue ces deux articles bienvenus d’Aurélie Coudière sur le site Focus Numériquedroit à l’image partie 1 & droit à l’image partie 2

Par ailleurs, on s’est bien retrouvé dans des interrogations similaires avec Tugdual du blog Visa Pour qui se posait la question Peut-on tout photographier en voyage ? Et si vous n’en avez pas assez et pour ouvrir le sujet, voilà un article de Piotr du blog Bien voyager qui se demande Pourquoi prendre des photos en voyage ?

36 réflexions au sujet de “Réflexion sur la photo de rue”

  1. Même si la première photo (photo de la discorde …) ne me semble pas forcément choquante, je peux comprendre que ce ne soit pas forcément apprécié.
    Même si ton intention n’était pas mauvaise, beaucoup prennent un malin plaisir à photographier les endroits sales, pauvres ou trash à l’étranger pour revenir tout fier avec ces clichés poubelle. Peut-être ont-ils pensé à cela.
    Ou alors, ils ne sont pas tout simplement pas forcément sensibles à la photo et du coup pour eux, ça se résume à une photo de chaque bâtiment et point barre.

    Sur la seconde partie de ton billet, je ne suis par contre pas fan du portrait volé ou de la photo prise à 200mm pour ne pas se faire griller.
    Je fais peu de portraits mais lorsque j’en fait je demande systématiquement. Au delà de la question de la politesse, c’est également un pré-requis pour un portrait décent.

    Autre débat possible, les photos de plats dans les restaurants 😉
    C’est parfois très mal vu, en fonction des pays!

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    • Merci de ton commentaire Aurélien. Ce que j’ai regretté lors de cette altercation c’est l’impossibilité à pouvoir discuter réellement du pourquoi je prenais cette photo, qui en effet n’a rien de choquant en soi. J’imagine très bien que ce monsieur ne s’intéresse pas forcément à la photographie et a surement d’autres chats à fouetter.
      Pour ce qui est de la deuxième partie de ton commentaire c’est en effet une question à débattre. Je pense que la photo de rue de manière générale, comme le dit bien Cartier-Bresson, nécessite une urgence qui ne supporte pas le préparatif.
      En revanche si l’on parle vraiment de portrait, avec un sujet central en gros plan, de ce côté là de toute façon tu n’en verras pratiquement pas dans mes photographies, de part comme je le disais la réserve qui est la mienne vis à vis de ce type de prises de vue.
      Dans tous les cas j’espère pouvoir évoluer dans ma pratique de la photo et me permettre de faire des choses que je n’ose pas pour le moment.

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  2. Je me suis fait traitée de sale touriste par un restaurateur parce que je prenais la terrasse de son restaurant en photo sans consommer. (Nous venions de consommer sur celle du voisin)
    On n’a pas tous le même regard sur les choses ou son environnement, un détail fera d’une photo quelque chose de magique ou non. Je n’ai jamais fait de portrait car je n’ose pas aborder les personnes (j’aimerai) mais comme toi j’ai peur du refus.
    Moi j’adore tes photos,y à un je ne sais quoi qui me touche à chaque fois.
    Bizzzz Chacha

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    • Merci Chacha !
      C’est une vraie question que la manière de concevoir la pratique de la photo en voyage et pour ma part, cet épisode m’a fait me trouver mal, car cela m’a placé comme un intrus, quelqu’un qui n’avait pas sa place ici, un étranger ou pour simplifier un connard de touriste… Cette sensation, c’est la première fois dans mes voyages que je la ressens, et c’est une situation qui a été difficile pour moi qui suis tant que possible dans le recherche du respect des gens et du pays dans lequel je me trouve.

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  3. Pour ma part, je suis un peu comme toi, j’essaye de ne pas déranger, de prendre mes photos aussi vite que je suis repartie, et je ne demande pas l’autorisation sauf si ça concerne une personne ou si je vois « clairement » qu’il peut y avoir « discorde », pour la photo que tu montres, si le propriétaire avait été assis juste à côté par exemple. Je ne trouve pas ton comportement choquant, mais au final, tout est sujet à interprétation. Ce qu’on va photographier dans une démarche de « beau » peut être perçu comme intrusif par un autre et ce n’est jamais facile de faire face à l’hostilité dans ces conditions (car toi, tu agissais sans mauvaise pensée mais le propriétaire a tout autant le droit de ne pas apprécier ta démarche et parfois dans ce genre de cas, on réagit mal).
    Après, peut-on vraiment tout anticiper ? Je ne le pense pas. Par manque d’observation, de connaissance, on peut toujours être pris comme ça en porte-à-faux et je ne pense pas que ce soit un manque d’éthique mais juste de compréhension.

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    • Merci Malicyel. On ne peut pas tout anticiper en effet, on peut se renseigner, c’est ce que j’avais fait comme à chaque fois, sur la pratique de la photo à Istanbul et je n’avais rien trouvé qui pouvait me préparer à ça. J’avais juste lu une tripotée de commentaires sur le plaisir de prendre cette ville en photo. Ce que j’ai pu par ailleurs vérifier ! Sinon en effet, ces objets étaient seuls et je n’imaginais pas qu’ils appartenaient à ce monsieur, assis un peu avant sur le trottoir d’en face. Donc encore une fois rien ne me préparait à ce moment !

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  4. J’ai récemment eu le problème au Burkina Faso où apparemment la photo, entre autre urbaine (je ne fais pas de portrait, je suis trop timide, et à l’instinct j’évite de sortir mon appareil dans les lieux où je le sens pas), n’est pas du tout dans les meurs et où j’ai pas mal été prise à partie (notamment brutalement en photographiant les invraisemblables parking de 2 roues devant le grand marché de Ouagadougou), si bien qu’à la fin de mon séjour je ne sortais même plus avec mon appareil et n’ai que volé des (mauvais) clichés au smartphone.
    Chaque altercation ne donnait pas vraiment de motif que je puisse comprendre en tant qu’occidentale, il s’agissait le plus souvent d’un impératif « T’as pas le droit » n’ouvrant pas lieu à discussion (j’ai essayé avec la notion de lieu public et/ou de « souvenirs » mais n’ai qu’attisé la colère de mes interlocuteurs) et, qui comme toi m’ont laissée assez frustrée.
    Je n’avais pas l’impression d’être intrusive mais peut être que si finalement pour qui peut avoir l’impression que je me sers sans vergogne de son environnement dans le but de l’exhiber sans qu’il sache comment.
    Je voyageais en solo, je me demande si les groupes accompagnés d’un guide ont le même problème.

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    • Merci Hedilya, ton expérience confirme un peu la mienne finalement, peut importe la bienveillance de notre démarche, de la même manière que ces gens ne savent pas pourquoi nous prenons ces photos, nous même ne savons pas ce qui produit cette réaction, peut-être de mauvaises expériences avec les touristes… Comment savoir ? Par la discussion en effet, mais en l’occurence, comme moi, tu n’as pas eu l’occasion de pouvoir échanger à ce sujet et peut être comprendre un peu mieux ce rejet. Je peux seulement imaginer que dans ces pays le touriste est à la fois vu comme une pompe à fric mais également comme un nanti qui vient profiter de la vie dans un pays où tout le monde galère… et ça peut énerver les gens. Mais comment en tant qu’individu sortir du carcan riche/blanc/occidental/colon/envahisseur et casser la barrière pour échanger simplement d’humain à humain ?

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  5. Le problème n’est pas de savoir si nous avons le droit ou pas de prendre des photographies dans la rue, le problème est de savoir si nous pouvons le faire partout … ce qui peut paraître anodin ici semble relevé de l’intime là-bas. Ce monsieur a sûrement eu la sensation que tu cherchais à faire de sa misère une carte postale : ça l’a mis en colère, et on peut le comprendre…. Et puis il faut penser que tu passes après des centaines, des milliers d’autres touristes qui n’ont pas forcément été aussi respectueux que toi (on paie souvent les incivilités de nos compatriotes!). Tu as été la goutte d’eau peut-être… va savoir …

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    • Merci Mitchka de ton commentaire, tout est dans le « va savoir… » Comme je disais j’aurais vraiment aimé pouvoir discuter avec ce monsieur afin d’échanger là dessus, que je puisse vraiment comprendre pourquoi il avait cette réaction, d’où lui venait cette colère (en effet peut-être l’accumulation) et qu’il puisse entendre aussi ce que j’avais à dire. Mais sincèrement, au passage, by the way, je peux dire que j’ai aussi senti que le monsieur se jouer un peu de moi, avec son pote à côté, je pense qu’il en a rajouté dans l’indignation et qu’il voulait aussi juste me faire chier… 😉 Mais la question est plus large que ma simple expérience avec ce monsieur et c’est super de pouvoir avoir vos opinions à tous.
      Peut-on faire de la photo partout ? En tant que simple touriste, je ne pense pas. Après si on a une démarche bien précise, on prépare le terrain, dans un esprit reportage et on explique en amont ce qu’on va faire, pourquoi on va le faire, et on a des relais pour pouvoir le faire.

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  6. Me voici enfin 🙂
    La réaction des gens face à la photo est très différente d’un pays à l’autre. Pour ma part, je ne prends plus maintenant les « dépotoirs » en photo. J’avoue l’avoir fait, sans esprit de malveillance aucune, mais simplement, la première fois que tu vas, par exemple, en Inde, tu hallucines tellement face à ce que tu vois que tu veux le prendre en photo pour essayer d’expliquer ensuite pourquoi les premiers pas dans ce pays crées un choc non négligeable. Je n’avais pas de blog à cette époque, donc ces clichés n’ont eu qu’une audience limitée.
    Mais je ne suis pas partisan non plus de ne montrer que le beau sous son meilleur angle, sinon, on ne fait en fait plus que des cartes postales. L’incompréhension vient, je pense, de là. Il y a des endroits où les locaux considèrent, à tort ou à raison, que toi en tant que touriste, tu es là pour prendre des photos carte postale et rien d’autre.
    Mais même sans prendre des choses délabrées en photo, ça reste encore parfois compliqué. Mais je me refuse à ne faire que des cartes postales. Non seulement ça n’est pas passionnant, mais ça colporte aussi un point de vue très erroné sur un pays. Oui, je me sens le devoir d’inciter mes lecteurs à visiter tel ou tel pays, mais ne montrer par exemple que le Taj Mahal en Inde, c’est tout de même un chouia à côté d’une certaine réalité. Et si j’aime voyager dans ce pays, ça n’est pas d’ailleurs pour le Taj Mahal. On peut donner envie et mettre en avant une destination avec des photos de rue, mais c’est là qu’une certaine différence culturelle est très difficile à appréhender. J’ai eu d’ailleurs un peu les mêmes soucis d’Hedilya au Burkina avec des conversations des plus tendues lors de photos de scènes de rue. Mais là, je pense qu’il y a une histoire liée à la colonisation qui ressort, car même en dehors de la photo, j’ai eu à plusieurs reprises des conversations assez tendues où je me faisais apostropher en tant que toubab. J’avoue que moi non plus, je ne savais pas trop quoi répondre. Je suis toujours resté calme et souriant. Parfois on a réussi à discuter, le plus souvent j’ai passé mon chemin.
    Concernant les portraits, j’avoue que ton commentaire m’a amusé (merci pour le lien d’ailleurs), car je me dis toujours que je ne prends jamais assez de gens en photo, que trop souvent, je n’ose pas demander. Au fil des ans, je finis par avoir une sélection, mais la moisson annuelle reste tout de même assez faible. Sans compter que même quand ils acceptent, je ne sais pas vraiment « diriger » les gens pour augmenter les chances de réussite du portrait. C’est mon objectif pour mon prochain voyage, en espérant que ça soit plus facile au Bénin qu’au Burkina, sinon c’est pas gagné !

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    • Ah tiens, tu vois je pensais que tu avais plus de facilité à demander des portraits aux gens. L’exercice semble dans tous les cas difficile que l’on soit habitué ou non.
      Pour ce qui est de photographier les « dépotoirs », même si le mot ne me convient pas vraiment, pour ma part ce que je photographie n’est pas dans l’intention de montrer quoi que ce soit d’un pays ou d’une ville. C’est plus proche d’une démarche artistique en fait. Quand je parle de nature morte, c’est bien cela qui me vient à l’esprit à chaque fois. Et même si là pour cet article j’ai fait exprès de mettre les lieux où les photos ont été prises, pour « justifier » que je prend ces clichés que je sois en France ou ailleurs, j’ai un dossier avec ces photos et si un jour je les réunies dans un post, je ne pense pas forcément les relier à une destination précise. Au contraire même.
      Après je suis bien d’accord avec toi, sur l’absence d’intérêt de la photographie carte postale, même si on en fait toujours… Là encore, mes photos émanent d’abord d’un désir et pas d’une volonté de documenter. Ce qui fait que des fois, et bein quand je reviens et que j’écris un article, j’ai pas les photos qui illustreraient bien mes propos ! 🙂 Mais j’y fait un peu plus attention il faut avouer… En tous cas si l’idée d’un blog de voyage est de faire un tant soit peu ressentir l’atmosphère qui règne à un endroit, il faudra passer par du vivant. Merci en tous cas pour ton commentaire Laurent et on croise les doigts pour le Bénin ! 😉

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  7. Je ne pense pas que lui et toi auriez pu trouver terrain d’entente. Ce sont simplement des différences culturelles qui font que les visions et approches de la photographie sont purement opposées.
    Je comprends ta frustration, et se voir prêter des intentions négatives n’est jamais agréable, mais je comprends aussi ce qu’il a pu ressentir. Il y a toute une partie du monde où des choses intimes se passent dehors, et où les habitants ont pris l’habitude de s’ignorer entre eux, de fermer les yeux. Si un touriste y prête attention, ou pire, les photographient, le sentiment ressenti par celui vit dans une certaine misère est décuplé. (On peut le vivre comme du voyeurisme…)

    Maintenant, il n’y a rien de grave. C’est le jeu de la photo de rue : essuyer des refus, de faire envoyer bouler, et tâcher de passer outre pour recommencer des photos. (Au début, il me fallait plusieurs jours pour oser redemander après que quelqu’un ait refusé que je le prenne en photo…)
    Bref, ne rumine pas cette histoire, ne la laisse pas bloquer ta créativité 😉

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    • Merci Aurélie de prendre le temps de passer par là, et c’est bien ce genre de commentaire qui fait du bien ! 🙂 J’avoue avoir beaucoup voyagé mais la Turquie est le premier pays où j’ai vécu cette expérience, d’où le petit choc en effet. Après certainement que les régions du globe que j’ai visité jusque là n’étaient pas les plus compliquées pour la photographie… je ne sais pas. Je pense que je n’avais pas les antennes bien connectées sur le moment, car je n’ai pas vu que c’était un point d’eau pour se laver les mains. Cela dit je n’ai pas eu l’impression que le monsieur vivait dans le plus grand dénuement non plus. D’où la question centrale du voyeurisme et la difficulté à trouver l’endroit où cela commence. En me baladant j’ai croisé des enfants en haillons, des gens qui vivaient dans des maisons en bois complètement défoncées, le sol en terre battue et ouvertes à tous les vents, là j’ai senti la misère et je ne l’ai pas photographiée.
      Un jour j’aimerais pouvoir effectuer un vrai travail de photo-journalisme, pouvoir entrer dans une communauté et pouvoir pour le coup vraiment documenter, avec leur assentiment et documenter… Un jour…

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  8. Il ne faut absolument pas généraliser une situation à toutes les autres… Tu sais, il y a des jours où tout ne va pas bien, les planètes ne sont pas alignées. Ce monsieur a fait une succession de représentations erronées, il s’est peut-être mal réveillé ce matin là, ou est un c@€ tout simplement…
    Si tu fais souvent ce genre d’images et qu’il ne t’arrive rien, c’est donc une exception.
    Sinon, même pour de la photo dite volée, il faut prendre le temps de se fondre dans le paysage et de se faire oublier pour ne pas attirer l’attention.

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    • Héhé, salut Julien et merci de me donner ton avis. J’ai eu en effet un doute sur ce monsieur avec une grande envie pour le classer dans la catégorie des « le temps de ne fait rien à l’affaire » que je transformerais pour l’occasion en « la nationalité ne fait rien à l’affaire » 😉 : https://www.youtube.com/watch?v=84SMQ4Gyz5o. Mais en même temps ça m’a bousculé et permis de réfléchir à tout ça, et en plus recueillir vos avis à tous qui sont très enrichissant.
      Ce que tu dis là sur la photo de rue rejoint tout à fait à la vision de Cartier-Bresson sur la question dont les carnets d’entretien « Voir est un tout » fait partie de mes livres de chevet.
      Au passage ton travail autour du polaroïd est pour moi exemplaire, associant super démarche et super rendu artistique = Bravo.

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  9. Comme d’autres l’ont dit, tu n’as aucunement à te sentir mal face à cette situation. Si parfois la question de la photo peut se poser (face à la pauvreté, le conflit, la mort, etc.) dans ce cas décris, il n’y a aucune gravité à la situation. Ta photo n’était pas déplacée, qu’en dise ce Monsieur. Elle est le résultat d’une incompréhension, ça par contre c’est tout à fait possible. Soit, on oublie et on recommence 🙂 Un autre habitant de la ville aurait tout aussi pu t’interpeller et te faire remarquer que « c’est bien de ne pas montrer que le côté clinquant de la ville, car Istambul, c’est aussi tout ce bazar dans les rues. » 😉

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    • Merci de me donner ton avis Tugdual, tu as raison, c’est un incident auquel il ne faut pas donner trop d’importance. Cela m’a bousculé sur le moment car je voyage depuis longtemps maintenant, et c’était la première fois que cela m’arrivé… D’un autre côté je le répète, mais c’est vrai, je pense que grâce à cet incident qui m’a amené à réfléchir et grâce à vos retours à tous, je pense pouvoir être plus confiant à l’avenir et assumer encore un peu plus mon désir photographique.

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  10. Salut Samuel,
    Perso, j’imagine comprendre un peu la réaction de ton commerçant d’Istambul. Plus pour le coté « mauvaise image » que tu pourrais véhiculer en montrant des clichés de Bordels de rues de leur pays; mais bon, surement un peu « relou » ton gars. Moi j’aime photographier la rue, la vie des gens et bien souvent je ne demande aucune permission car je trouve qu’après, on perd en naturel… N’étant pas forcément rodé à la prise de contact pour faire poser les gens en voyage, je me suis quand même fait « violence » en Bolivie pour ramener mes 42 portraits du marché Central de Sucre…. Mon astuce ici, faire plaisir au gens! Je raconte mon expérience ici :
    http://www.le-tour-du-monde-a-80cm.com/portraits-photo-au-mercado-central-de-sucre/

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    • Merci pour ton commentaire Arnaud. En effet il faut se faire violence et l’astuce de faire plaisir aux gens (leur offrir un pola par exemple) est surement la meilleure idée qui soit pour donner en retour. Un jour je m’y mettrai ! (Je me renseigne d’ailleurs sur les nouveaux modèles d’instantanés.)

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  11. Ton article prête à réflexion. Je rejoins les commentaires de certains. Je peux comprendre le ressenti du Mr et le tien aussi.En tout cas, il n’y a eu aucun de mal dans ta démarche 🙂
    Il m’est arrivé de me faire agressée verbalement au Maroc par des femmes alors que je tentait de prendre une photo de la place Jemaa El Fna mais en plan large et non les personnes. En parlant de portrait, il y a quelques années, j’étais bien trop timide pour aller vers les gens et faire des portraits. Je m’en mordait les doigts à chaque fois à cause de plusieurs occasions ratées. Avec le temps, les voyages sont devenus un parfait terrain de pratique pour progresser. En revanche, j’ai mes limites, je ne me permettrais jamais de photographier la misère ou faire de la photo « voyeuriste » juste dans le but de montrer après. Ceci dit, je dis ça, peut-être que du côté du Mr, ça faisait justement allusion à ça ? Surement des différences culturelles comme dit plus haut.

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  12. Difficile de savoir ce que l’on peut ou pas photographier sans blesser les gens. Une fois, je me suis fait interpellé à Paris lors d’un cours de photo car une personne croyait que je cherchais à photographier les enfants sur une place pour faire des portraits et les mettre sur internet… alors que je faisais que des plans de la place au grand angle. Je lui ai montré mes photos, on s’est expliqué et ça s’est bien passé.

    Au Burkina Faso, j’ai eu à la fois des réactions très violentes quand j’ai cherché à photographier la rue (limite déserte d’ailleurs), alors que quand j’ai demandé à des gens de les prendre en photos, je n’ai quasiment jamais eu de refus…

    J’aime beaucoup prendre des photos de portrait, mais je m’adapte au pays. J’évite si je vois que les gens sont mal à l’aise avec cela car sont sans cesse interpellé par les touristes, ou alors si ce n’est pas dans la culture.

    Des fois, je m’essaye à la photo volée car la spontanéité, il n’y a que ça de vrai 🙂 Cela au Népal, ça m’a un peu saoulée d’être prise en photo par les touristes indiens à Katmandou sans mon accord, mais bon je me sens plutôt mal placée pour donner des leçons! (Et ça m’a fait encore plus drôle quand certains ont voulu que je me mette sur la photo de famille).

    Sinon, franchement, si c’est que la timidité qui te retient de demander aux gens de poser, j’ai envie de te dire, essaye au moins une fois ! Je suis ultra timide, j’ai mis du temps à demander, mais finalement, j’ai vraiment eu peu de refus (après dans les pays musulmans, je n’essais pas car le rapport à l’image est souvent plus compliqué qu’ailleurs) ! Certaines fois, les gens sont mêmes hyper touchés ! Une astuce : propose de leur envoyer la photo par mail à ton retour !

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    • Très marrant l’arroseur arrosé au Népal ! Oui je crois que doucement je vais me mettre à aborder les gens quand j’en aurai envie, avec une petite préparation et comme tu le dis quelquechose à leur offrir en retour : je réfléchis à m’acheter un instantané…

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  13. Ce qu’écrit Aurélie me semble très juste. Dans la photographie de rue, on empiète bien sûr sur l’intimité des gens. Ce qui peut très bien être perçu en Asie peut être vu comme très déplacé dans certains pays africains. J’ai l’impression de faire toujours autant de gaffes, mais j’ose maintenant les accumuler, et passer à autre chose.
    Je crois qu’en Europe, je suis une voleuse: je dérobe des regards, mais je vais très peu demander à des inconnus de plonger leurs yeux dans mon objectif. L’Asie est assez émancipatrice, les portraits semblent plus facile à réaliser qu’ailleurs.
    Je crois aussi qu’une fille avec un appareil photo semble moins agressive qu’un homme dans la même situation: les mères de famille nous laissent peut-être davantage approcher des enfants, entrer dans la sphère domestique. Quant aux hommes, j’ai le sentiment qu’ils me perçoivent souvent comme une petite chose inoffensive et me laissent dès lors prendre les photos que je désire. En voyageant avec des photographes masculins, j’ai dû admettre qu’ils devaient peut-être marcher davantage sur la pointe des pieds dans de nombreuses situations.

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  14. Aline, c’est exactement ce dont j’ai besoin, de la confiance. Quand je suis rentré je me suis instantanément replongé dans mon livre de chevet « Voir est un tout » (entretiens avec Cartier-Bresson), comme si j’avais besoin que quelqu’un me dise « bien sûr que tu avais « le droit » de prendre cette photo » ! Et le fait là de recevoir vos avis me fait du bien. Je me reconnais dans une démarche partagée. Donc merci.

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  15. Des bonnes questions ici. L’important est le respect à mon sens. Tout est une question d’adaptation, de feeling, de rencontres. Je me pose aussi beaucoup de questions à ce sujet car j’adore les portraits mais je n’ose pas souvent. Alors pour essayer de me donner une ligne guide j’imagine la situation inverse : Si mon interlocuteur sortait son appareil photo est-ce que je me laisserai photographier ? Si on « volait » une photo de mon quotidien ? Belles photos à venir 😉

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  16. Bonsoir Samuel,
    Nous avons lu ton article avec grand intérêt, car c’est une question que nous nous posons depuis longtemps dans nos voyages. Je ne comprends la réaction de la personne offusquée que par l’asymétrie de vos points de vu, il vit dans cette « misère » et ne rêve que d’un hypothétique voyage au pied de la tour Eiffel ou sur la place St-Marc, en version cliché pour touristes. Voir un touriste venir photographier « sa » merde, ça ne cadre pas dans sa vision du voyage, ou même du beau.

    D’expérience, nous avons du mal autant avec la froideur et la suspicion fréquente des gens capturés dans les rues des métropoles européennes qu’avec les mises en scènes, à Cuba, par exemple, dès que notre appareil était repéré : enfants qui accourent pour nous entourer et nous quémander de l’argent contre un sourire, envoyés par la mère dissimulée au coin de la rue. Le cliché était sympa, mais la conscience troublée: photo achetée ? tombé dans le piège comme un touriste tout juste descendu de son bus ?

    Nous n’avons pas encore résolu le dilemme, demander et prendre le risque de tuer tout le naturel de la scène ou ne pas le faire et risquer la brouille. Il y a toujours quelques subterfuges qui fonctionnent : comme la photo « au petit bonheur la chance », appareil contre le ventre, cadrage approximatif, de belles surprises parfois ou photographier dans la foule, dans les manifestations ou autre rassemblements, la présence de l’appareil s’oubli et le photographe devient invisible. Les clichés peuvent en être saisissants.

    Le quotidien de nos sociétés bien souvent nous cloisonne et nous retient d’aller vers les autres (ne pas déranger, etc), la photographie permet de se rapprocher des autres pour le cliché, puis grâce à lui, pour plus, par curiosité, pour la personne. La photo « volée » peut amorcer l’échange, et au final celui-ci vaut tout autant que le cliché.
    Je crois que la photographie nous aide à aller dans ce sens, et nous pouvons mesurer personnellement le chemin parcouru depuis quelques années. Capa disait -si la citation n’a pas été galvaudé- « Si la photo n’est pas bonne, c’est que tu n’étais pas assez près ».
    Alors on se rapproche, on se rapproche… 🙂

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  17. Dernièrement, il m’est arrivé « le contraire ». Je vis à Reykjavik, en Islande, et un samedi après-midi, sur une des rues les plus passantes de la capitale islandaise, on déménageait un ami. Et là… un groupe de touristes s’est arrêté et nous a immortalisé portant des cartons de la porte de l’immeuble au « 4X4 de déménagement ».
    Je n’ai absolument aucune idée de ce que cette « photo de rue », jugée probablement typique, va devenir. Et sur le coup on avait autre chose à faire que s’en occuper. Mais si j’avais pu, j’aurais refusé.
    (bon, mon comm est peut-être hors-sujet car l’objet de la discorde était « une nature morte humaine », mais tu ouvres le sujet sur les portraits après 🙂

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    • Merci Sophie, ton com est pas du tout HS, au contraire, c’est comme si on avait celui de l’autre côté e l’objectif qui nous parlait, c’est intéressant ! Peux-tu expliquer pourquoi tu aurais refusé ?

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  18. Je me demande si dans ta photo de la discorde n’entre pas en jeu une conception de l’intime qui est différente selon les lieux. A Paris, ce qui est dans la rue n’appartient pas à l’espace privé ou à l’intimité. L’intimité de rue qu’on voit à Paris c’est celle des déchets ou celle de ceux qui ont la rue pour maison et donc n’ont pas la possibilité de séparer ces espaces.
    Pourtant, nombreux sont les lieux où la rue et l’intime se rejoignent. Ou l’espace public et privé se superposent. Déjà dans ma ville natale (à Sète), il y a des quartiers ou les habitants vivent en partie sur le trottoir, attachant dans la rue des chaises avec des cadenas de vélo pour ne pas qu’on les vole la nuit. Devant chez eux, c’est aussi un peu leur espace. C’est également très vrai en Sicile, ou dans de nombreux autres endroits. Alors photographier cet espace, ce serait comme prendre une photo d’un intérieur à travers une fenêtre : ça ne se fait pas, c’est un peu une intrusion dans l’intimité des gens. A mon avis, la façon qu’on a de considérer les frontières entre espace public et espace intime explique en partie la réaction de ce monsieur.
    Ensuite, je pense qu’on peut compléter l’analyse de sa réaction par une réflexion sur le beau, et sur le beau touristique. Apparemment cette personne n’a pas la même idée du beau que toi, et ne comprends pas que ses objets personnels, qu’il qualifie lui-même de « merdes » puissent être beaux. Ça me rappelle un peu Naples, où l’on est tenté de photographier l’ordure, le sale, le chaos, qui participent tant de l’identité de la ville, bien que révélant aussi des problèmes profonds. Quand je pense à Naples, j’ai souvent en tête le poème de Baudelaire sur la Charogne.
    Et puis le beau touristique vient s’ajouter à cette lecture : revêtu de ton uniforme de touriste, tu prends des photos qui vont, on l’imagine, devenir à ton retour de voyage l’image ou une image de la Turquie pour toi et pour ceux qui vont les voir. Sauf que ce que ressent cette personne, je crois, c’est que tu prends le pouvoir avec ton appareil photo de raconter quelque chose de son pays qui ne cadre pas avec ce que lui voudrait qu’on en retienne. D’où son indignation.
    C’est en tout cas un sujet passionnant. Il me rappelle une série de photos que j’avais vues à Sète lors du festival images singulières. Pendant ce festival, un artiste est invité chaque année à réaliser une série sur la ville. Une année c’est Anders Petersen qui a été invité en résidence. Je n’ai pas vraiment reconnu ma ville dans ses photos, tout en les trouvant fascinantes. Il a capté quelque chose mais en même temps j’ai trouvé son travail un peu révoltant, comme s’il avait voulu poser son calque trash sur Sète, comme si son regard était forcé. La photo de rue bouscule notre vision des lieux et c’est ça qui la rend intéressante. Voire révoltante.

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  19. La photographie de rue est compliquée je trouve. Je suis une personne discrète, j’aime me fondre dans la masse et qu’on oublie ma présence. Par exemple, je n’aime pas sentir le regard des gens sur moi quand je photographie quelque chose, c’est bête mais c’est comme ça. J’ai alors tendance à prendre mon cliché rapido, quitte à le rater et continuer mon chemin comme si de rien était.

    Je n’ose pas demander non plus aux gens si je peux faire un portrait d’eux car je me sens mal à l’aise vis à vis de ça. Non pas par timidité mais j’aurais peur que la personne s’offusque en pensant que je vois en elle quelque chose d’exotique qui colle au paysage ou un cliché. Et puis si en marchant à Paris un étranger venait me demander « je peux te prendre en photo ? », non seulement je serais vraiment très surpris, mais je refuserais car je trouverais ça étrange. Donc on en revient aussi à la peur du refus. Je pense devoir mûrir davantage dans ma pratique de la photo, prendre plus d’assurance pour justement éviter ces moments de gêne.

    La réaction de ce monsieur est assez violente au vu de la situation. Elle peut se comprendre et je trouve les commentaires de chacun vraiment intéressants. J’aurais été terriblement gêné d’etre pris à partie comme ça, dans la rue, devant son ami.
    Article intéressant en tout cas, ça donne à réfléchir.

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    • Merci beaucoup pour ta participation à la réflexion ! Après chacun agit et réagit comme il l’entend, mais je crois que c’est important de se questionner en tous cas.

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